L’entrepreneuriat, une question de culture

Si la formation et les compétences sont indispensables aux écosystèmes basés sur l’innovation, le dynamisme nécessaire à leur développement passe par l’envie d’entreprendre, la confiance dans les ressources pour y parvenir et une forte tolérance à l’échec. Une question de culture où la Suisse romande se positionne très bien, même si elle peine encore à concrétiser pleinement tout son potentiel.

La culture d’entreprendre - en d’autres termes la propension des jeunes et des moins jeunes à se lancer dans les affaires - est certainement une force pour certaines économies basées sur l’innovation, lesquelles ont su créer les conditions-cadres propices à un tel état d’esprit. L’Arc lémanique peut-il se prévaloir d’une telle culture?

«Comprendre l'écosystème permet d'amener des solutions qui seront adoptées»

Nathalie Nyffeler est responsable de la filière Master Innokick de la HES-SO, qui permet d'acquérir des compétences pour accompagner ou développer des projets innovants. Elle commente les effets de la démarche sur les étudiants, mais aussi le rôle du design thinking dans l'innovation, la construction d'une intelligence collective sur le territoire romand et l'importance de contextualiser l'innovation.

Une évolution perceptible des mentalités

Alors que les caractéristiques d'appétence à l’entrepreneuriat sont, dans la plupart des pays, très stables, on constate une forte évolution de la perception d’opportunité en Suisse romande. Celle-ci atteint désormais un niveau largement au-dessus de la moyenne suisse.

Il se passe vraiment quelque chose en Suisse romande 

 

Selon l’étude Global Entrepreneurship Monitor (GEM), il ne fait pas de doute que l’appétit pour l’entrepreneuriat a sensiblement gagné du terrain. Il affiche un taux supérieur à 50%, soit plus d’une personne sur deux parmi la population des 18-64 ans (hors chefs d’entreprise) estimant que le démarrage d’une activité dans la région où il vit est une bonne option de carrière. En 2015, ce taux n’était encore que de 25%.

«Il ne fait pas de doute que l’appétit pour l’entrepreneuriat a sensiblement gagné du terrain»

Beaucoup d’envie, encore peu de passage à l’acte

Les Romands ont une image de l’entrepreneuriat (technologique ou non) significativement plus positive que le reste du pays. Qu’il s’agisse d’un choix de carrière potentiel ou d’un statut social, une très large majorité de la population perçoit positivement le fait d’entreprendre.

La perception des Romands vis-à-vis de l'entrepreneuriat 

 

Les Romands ne se sentent pas moins capables ou plus craintifs que les Alémaniques dans l’ensemble et ils affichent même un appétit entrepreneurial légèrement supérieur. De la parole aux actes il y a cependant tout un monde: ces facteurs très positifs conduisent aujourd’hui exactement au même taux de concrétisation que dans le reste de la Suisse...

Un homme de 40 ans

Dans le canton de Vaud, le portrait type des personnes actives dans l’entrepreneuriat technologique est relativement simple à dresser: il s’agit d’un homme âgé de 40 ans environ et qui n’est pas de nationalité suisse.

Portrait type des personnes actives dans l’entrepreneuriat  

 

Exit l’image du jeune entrepreneur de 20 ans qui révolutionne une industrie en venant avec des idées radicalement nouvelles! Cela s’explique par le fait que, dans les écosystèmes basés sur les technologies de pointe, le bagage scientifique et l’expérience nécessaires au démarrage d’une activité indépendante à forte valeur ajoutée ne sont logiquement pas encore acquis au sortir de l’école. C’est plutôt la démographie du personnel de recherche, plus avancée en âge et très internationale, qui se reflète dans le profil des entrepreneurs.

De la même manière, le caractère technologique de l’entrepreneuriat dans la région influence directement la part de femmes entrepreneurs, qui reflète la part féminine dans les filières scientifiques et techniques. Seulement 20% des porteurs de projets sont des femmes. Si cette situation n’est clairement pas satisfaisante, dans la mesure où elle limite le bassin de talents potentiels, elle s’améliore lentement (voir à ce propos l'interview de Deborah Heintze).

«Le start-upper vaudois n’est pas toujours vaudois»

L’innovation est souvent faite par des gens qui ne sont pas ancrés dans le terroir local. Comme en témoigne Hervé Lebret, ex- responsable du fonds Innogrant d’aide au démarrage pour les entreprises de l’EPFL, qui commente les facteurs de développement de l’innovation locale..

«Dans le canton de Vaud, le portrait type des personnes actives dans l’entrepreneuriat technologique est relativement simple à dresser»

Un réservoir de compétences

Quelle que soit sa taille, une société active dans l’innovation a besoin de compétences spécifiques. De ce point de vue, en Suisse, les cantons de Vaud et de Zurich se détachent avec un bassin local de personnel formé plus dense que dans les autres cantons.

Le canton de Vaud a un bassin de population avec un niveau élevé de formation 

 

C’est le reflet de la présence de nombreuses filières de formation supérieure dans ces deux cantons. Et d’une caractéristique plus surprenante: indépendamment de l’origine des étudiants, les diplômés universitaires restent dans un périmètre géographique assez restreint au moment d’entrer dans le marché du travail. Cela notamment le cas pour l’EPFL avec une écrasante majorité d’alumni en Suisse romande et dans le canton de Vaud (selon une cartographie établie en 2014).

«Quelle que soit sa taille, une société active dans l’innovation a besoin de compétences spécifiques»

Une nouvelle génération d’entrepreneurs

Plus que la perception ou la quantité, l’évolution la plus déterminante de ces dernières années est la progression réellement massive du niveau d’ambition des entrepreneurs, homme ou femme, dans la région.

Le niveau d'ambition des entrepreneurs vaudois a quintuplé en quelques années 

 

Ce niveau a simplement quintuplé en quelques années. Le degré de préparation et de maturité des nouveaux entrepreneurs est également très différent d’il y a cinq ans en arrière: «Depuis mon arrivée à la Fondation pour l’innovation technologique (FIT), en 2012, le niveau d’ambition et de qualité global des dossiers est en augmentation constante, explique Joao-Antonio Brinca, vice-président de la FIT. Les plans d’affaires sont très bien construits, intégrant dès le départ des projets d’expansion à l’international.»

Cette situation résulte de plusieurs facteurs et, en partie, de la perception globale positive du statut social de l’entrepreneur, ainsi que du relais régulier de ce thème dans les médias. Cependant, l’élément le plus déterminant est probablement à chercher dans l’important effort de formation et de sensibilisation à l’entrepreneuriat entrepris à plusieurs niveaux, directement au sein des écoles, par Innosuisse (ex-CTI) ou à travers des initiatives privées comme celles soutenues par la fondation Gebert Rüf. Il y a une vingtaine d’années, ces formations étaient encore totalement inexistantes.

Au final, avec les générations successives d’entrepreneurs, une vraie culture de l’entrepreneuriat est progressivement en train d’émerger dans la région, avec ses «role models», ses filières et ses mythes fondateurs.

«Le degré de préparation et de maturité des nouveaux entrepreneurs est très différent d’il y a cinq ans en arrière»

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