Conclusion

L’écosystème d’innovation vaudois a pris son envol et le canton de Vaud fait partie des champions de l’innovation basée sur la science (aussi appelée «deeptech»). En un quart de siècle, le tissu académique du canton a doublé de taille, il est pleinement interconnecté avec la recherche mondiale et figure même parmi les destinations de choix pour les chercheurs. La dynamique de créations de start-up s’est intensifiée. Ces projets attirent des capitaux bien au-delà des frontières suisses et plusieurs de ces sociétés ont atteint une taille significative, affichant une forte capacité de croissance. 

Cette dynamique ne concerne pas que les jeunes pousses: le tissu économique du canton a évolué, avec une progression importante des branches à forte composante technologique, notamment la pharma. Cette orientation vers des activités à haute valeur ajoutée est un plus pour l’économie du canton et contribue à la rendre moins sensible aux aléas de la conjoncture. Dans le contexte prévalant au moment de la finalisation de cette étude – marqué par la pandémie de coronavirus et la récession provoquée par cette dernière, ce soutien pour les années à venir n’est pas à négliger. 

Mais la compétition pour l’innovation est globale et les cycles s’accélèrent. Toutes les régions du globe cherchent à bien se placer et les hiérarchies peuvent se modifier rapidement. Pour les entreprises, la capacité à innover devient critique face à une obsolescence des produits de plus en plus rapide. Certaines innovations peuvent ébranler des acteurs établis, voire le cadre juridique et réglementaire. 

De plus, derrière la première place que la Suisse décroche régulièrement dans les classements des pays les plus innovants, il y a une réalité plus nuancée. Cette première place s’explique avant tout par la présence dans un petit pays des sièges de deux des plus grands groupes pharmaceutiques mondiaux et du leader mondial de l’industrie alimentaire, qui rapatrient à leur siège en Suisse des brevets développés dans le monde entier. 

Rien ne garantit donc que la situation favorable de notre écosystème d’innovation soit acquise. Ceci, d’autant plus que la crise actuelle pourrait également infléchir la trajectoire de l’écosystème d’innovation vaudois, par exemple si le flux d’investissements devait quelque peu fléchir, ne serait-ce que provisoirement. Face aux difficultés que pourraient connaître certaines start-up ou scale-up dans ce contexte, les autorités fédérales et le Canton ont annoncé des mesures de soutien, en particulier des prêts sans intérêt. 

Pour le canton de Vaud, il est primordial de maîtriser le processus d’innovation et y participer permet d’en être acteur, de favoriser le renouvellement du tissu économique, de créer des emplois dans les activités émergentes et de ne pas uniquement subir les retombées négatives de l’arrivée inévitable d’innovations créées ailleurs. Cela est d’autant plus important pour une région dépourvue de matières premières, fortement orientée vers les exportations et dont une partie de la croissance ces dernières décennies est liée à des facteurs qui n’offrent plus les mêmes perspectives (place financière ou installation de quartiers généraux d’entreprises internationales).

Dans cette course, l’étude «Vaud innove – Un écosystème aux multiples visages» a mis en évidence des points d’attention et des zones d’amélioration potentielles. Mais aussi que le canton peut s’appuyer sur l’action des autorités à tous les niveaux, fédéral et cantonal, ainsi que sur ses forces et certains facteurs de soutien.

"Pour toute économie, il est primordial de maîtriser le processus d’innovation et d’y participer"

LES FORCES ET LES FACTEURS DE SOUTIEN

La qualité première de l’écosystème d’innovation vaudois réside dans un tissu académique, dont la densité (personnel académique par habitant), la productivité (publications par chercheur) et la qualité de recherche n’ont rien à envier au reste du monde. Ce niveau de classe mondiale repose pour beaucoup sur la qualité de nos hautes écoles et leur capacité à attirer les talents, qui se sont renforcées au cours des vingt dernières années.

Deuxième force: la culture de l’entrepreneuriat est en forte progression en Suisse romande, notamment par rapport au reste de la Suisse. De plus, le niveau de qualité et d’ambition des projets qui recherchent un financement (en termes de taille ou de marchés visés) est en forte progression depuis cinq ans. Cela reflète notamment les efforts pour former et sensibiliser à l’entrepreneuriat dans et autour des grandes écoles. C’est aussi le fruit d’exemples («role models») étrangers ou locaux. 

Enfin, les qualités traditionnelles de la place économique suisse – qualité de vie, stabilité du droit, situation géographique centrale, présence d’une main-d’oeuvre qualifiée – sont également des facteurs de soutien.
 

"La culture de l’entrepreneuriat est en forte progression en Suisse romande"

LES ZONES D’AMÉLIORATION

Aussi réjouissante soit-elle, la dynamique de financement des projets est visiblement en retrait par rapport à d’autres places, notamment celle de Zurich, où la croissance est encore plus rapide, où la base de projets est plus large et où le cercle des investisseurs, de par la taille du bassin économique, est plus étendu. Le même constat peut être formulé sur la densité d’entreprises technologiques à forte croissance (scale-up), en augmentation marquée de notre côté de la Sarine, mais qui reste inférieure à celle de certains autres écosystèmes ou de la région zurichoise.

Ensuite, dans une économie robuste, l’entrepreneuriat reste en concurrence avec la sécurité offerte par des structures établies. Les initiants de start-up sont en majorité originaires d’autres pays. Les femmes sont peu présentes (à peine 20%) parmi les entrepreneurs dans le domaine tech, et ce, même si cette part est en progression et s’inscrit à un niveau comparable à celui d’autres écosystèmes (notamment aux États-Unis). Il existe donc une marge de progression pour augmenter le nombre de porteuses et de porteurs de projets.

Enfin, depuis Logitech, il n’y a globalement que peu de nouveaux succès à grande échelle, malgré la dynamique et la présence dans le canton de plusieurs candidats potentiels à une entrée en bourse. Le phénomène start-up, qui est à l'origine de sept des dix plus grandes capitalisations boursières mondiales, peine encore à produire ses champions globaux dans la région.

"Aussi réjouissante soit-elle, la dynamique de financement des projets est en retrait marqué par rapport à d’autres places"

LES POINTS D’ATTENTION

Les deux ingrédients clés d’une économie du savoir sont les compétences et l’accès aux connaissances. Dans ce contexte, le principal point d’attention pour la région et la Suisse est de défendre la libre circulation des cerveaux et leurs connexions aux réseaux de recherche européens et mondiaux (et notamment aux financements européens). Une économie du savoir ne peut pas fonctionner en vase clos. 

Un autre point d’attention est la faible proportion des investisseurs principaux basés en Suisse et leur quasi-absence dans le canton de Vaud. Ce point est critique pour les projets dans l’innovation, car ce sont ces investisseurs qui en entraînent d’autres dans leur sillage. Cette situation découle en partie de la taille limitée de la région et du bassin de projets, et signifie aussi que les entrepreneurs doivent fréquemment aller chercher des ressources financières hors de la Suisse. Le fait qu’ils y parviennent avec succès est un signe de l’attractivité de leurs projets. Mais cela constitue également un risque pour la pérennité des emplois associés dans la région, même si les données tendent à nuancer ce risque et à montrer que les investissements étrangers ont un impact global plutôt positif.

Par ailleurs, même si elles sont globalement bonnes, les conditions-cadres restent un point d’attention. Cette dimension, plus nationale que cantonale, est celle sur laquelle la Suisse est le plus mal notée dans les classements relatifs à l’innovation. Sans être des obstacles majeurs, deux zones d’attention se détachent. Pour commencer, la fiscalité, bien que globalement compétitive, reste un bémol en ce qui concerne la fortune des entrepreneurs et des employés-actionnaires de start-up, et également en ce qui concerne les plans d’options pour le personnel, très utilisés par les start-up. Cela peut peser dans la balance au moment du choix d’un site d’implantation. Ensuite, en comparaison internationale, certains éléments du droit des sociétés restent perfectibles en Suisse – par exemple, la vitesse de résolution des faillites et la protection des créanciers, qui sont en décalage avec d’autres écosystèmes d’innovation performants.

Pour terminer, un constat fondamental pour bien comprendre la dynamique d’innovation dans la région et les moyens de la soutenir est que l’écosystème vaudois est relativement petit comparé à d’autres. Il s’agit d’un frein structurel, lié à la taille de la région. Or, une certaine taille permet à la dynamique d’innovation de bénéficier des effets de réseau. L’innovation résulte en effet le plus souvent des rencontres entre expertises et domaines d’origines diverses, dont le nombre croît avec la taille du système. Celle-ci joue  également un rôle déterminant pour la visibilité et l’attractivité pour les personnes et pour les capitaux.

LES PISTES POTENTIELLES

L’objet de cette étude n’est pas de fournir une recette et des recommandations clés en main. Quelques pistes émergent toutefois, qui semblent pertinentes à explorer pour défendre et renforcer les capacités d’innovation du canton. Pour commencer, la taille – ainsi que la maturité relative de l’écosystème vaudois d’innovation – est un point à prendre en compte explicitement. Par exemple, des plateformes, des structures permettant de favoriser les échanges d’idées ou les relations entre les acteurs pourraient
compenser ce frein et augmenter le nombre de rencontres. De même, attirer dans la région des talents d’autres écosystèmes plus matures (chercheurs, entrepreneurs, investisseurs, etc.) qui ne seraient pas venus spontanément permettrait d’enrichir l’écosystème et d’accélérer son chemin vers la maturité. 

Ensuite, la difficulté à faire passer une idée d’un laboratoire au marché ou, pour une PME, le lancement d’un projet d’innovation reste sous-estimée. Il s’agit de démarches difficiles et tout ce qui permet de les faciliter ne doit pas être négligé. Par exemple, le financement direct de projets au sein d’entreprises ou toute autre mesure permettant de diminuer les risques lors des toutes premières phases. 

Une fois les projets démarrés, en plus de les soutenir, il convient encore de les retenir, en particulier dans les stades où leur faible taille les rend facilement déplaçables. Dans l’autre sens, rien n’interdit non plus de créer les conditions pour faire venir depuis l’étranger des projets à potentiel. Dans tous les cas, les conditions fiscales ayant un impact sur les personnes avec le pouvoir de décider, les facilités de financement local et l’intensification des liens avec les ressources académiques locales sont des leviers qui pourraient aider à mieux ancrer les projets. 
 

"L’écosystème vaudois est relativement petit comparé à d’autres"

Détecter, accompagner et aider les projets à forte croissance à se renforcer est tout aussi important, si ce n’est plus, de par l’impact sur l’emploi de ces sociétés. Or, celles-ci font typiquement face à d’autres enjeux que les start-up: gestion de leur croissance ou recrutement. Sur ce dernier point, par exemple, des permis de travail spéciaux (éventuellement en quantités limitées) et des facilités pour l’intégration professionnelle et sociale des proches pourraient constituer des facteurs d’amélioration.

Ainsi, plusieurs leviers existent pour renforcer l’écosystème d’innovation vaudois. Trouver les bonnes réponses aidera le canton, la Suisse romande ou la Suisse à se positionner dans les défis qui contribueront à façonner l’économie de demain.

"Trouver les bonnes réponses aidera le canton, la Suisse romande ou la Suisse à se positionner dans les défis qui façonneront l’économie de demain"

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